COVID-19
Police et sécurité - Risques majeurs
Depuis l’initiative prise par le maire de Nice, bon nombre de maires ont décidé d’instaurer un couvre-feu sur le territoire de leur commune considérant que les mesures prises par le Gouvernement en matière de confinement n’étaient pas suffisamment respectées.
À ce titre, il convient de citer de manière non exhaustive les exemples des maires de Florange en Moselle, Montmagny et Deuil-la-Barre dans le Val d’Oise, d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis, de Riom dans le Puy-de-Dôme ou encore de Lisieux dans le Calvados.
Les préfectures de ces départements respectifs ont fait montre d’une certaine réticence à l’endroit de ces initiatives locales et pour certaines demandé le retrait des décisions municipales. C’est notamment le cas à Florange.
Sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le préfet du Calvados a quant à lui saisi le juge des référés du tribunal administratif de Caen d’une demande de suspension de l’arrêté du maire de Lisieux, considérant que :
- le maire n’a pas compétence pour prendre les dispositions contestées ;
- l’arrêté est insuffisamment motivé ;
- les circonstances locales ne justifient pas les mesures prises ;
- le principe d’égalité est méconnu.
Si le juge administratif décide de faire droit à la demande du préfet en suspendant l’arrêté municipal instaurant un couvre-feu, il est intéressant de retenir plusieurs enseignements de cette ordonnance rendue par la juridiction.
Au vu de la loi 290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 instaurant notamment un article L. 3131-15 au code de la santé publique, il appartient effectivement à l’État, par l’intermédiaire du Premier ministre, de :
« Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; [...] 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature. »
L’article 3 du décret 293 du 23 mars 2020 pris sur le fondement de la loi d’urgence instaure un confinement généralisé au niveau national avec une liste de dérogation possibles.
Le III de ce même article précise par ailleurs de manière non équivoque que :
« Le représentant de l'État dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l'exigent. »
Dans son ordonnance du 22 mars 2020 rejetant la demande de confinement total émanant du syndicat Jeunes Médecins, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de rappeler que :
« [...] dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par ce décret ou en vertu de leur pouvoir de police les représentants de l’État dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. » (point 15)
L’ordonnance du 31 mars 2020 rendue par le tribunal administratif de Caen ne dit pas autre chose en considérant que :
« [...] ce pouvoir de police spéciale ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques et notamment pour prévenir les maladies épidémiques, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Cependant, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public ou de circonstances particulières au regard de la menace d'épidémie. » (point 8)
Si le maire est fondé, en droit, à intervenir en complément des mesures prises au niveau national, cette intervention demeure particulièrement contrôlée par le juge.
Ce dernier analyse scrupuleusement le caractère réel et la gravité du trouble à l’ordre public invoqué par le maire, ainsi que la proportionnalité de la mesure d’interdiction plus contraignante (en l’espèce le couvre-feu), avec cette menace.
À partir de ce raisonnement, le juge en conclut que :
« Les circonstances que les sapeurs-pompiers de Lisieux sont intervenus durant les nuits des 18 au 19 mars et 22 au 23 mars 2020 pour éteindre des feux de poubelles et qu’il a été constaté le matin du 25 mars 2020 des traces d’effraction et des dégradations au stade Bielman ne sont pas suffisantes pour justifier au plan local la nécessité des restrictions supplémentaires imposées par l’arrêté contesté tant au regard du risque de propagation de l'épidémie de covid-19 que de la sécurité publique. » (point 9)
Au vu de cette première ordonnance de référé relative aux arrêtés couvre-feu, il est possible de tirer deux enseignements :
1°) Le maire reste compétent, au regard de ses pouvoirs de police générale, pour prendre des mesures plus contraignantes au niveau local.
2°) L’intervention complémentaire du maire doit cependant être justifiée par la volonté de mettre un terme, de manière proportionnée, à une menace grave à l’ordre public.
Ainsi, la mesure de police ne saurait être exagérément restrictive, même en période de lutte contre le Covid-19 (TA Guadeloupe, ord., 27 mars 2020, n° 2000294).
Source :
TA Caen, ord., 31-3-2020, n° 2000711